Quand la Commission européenne semble préférer ses lobbyistes à ses concitoyens 2/2

Je reviens sur l’opposition entre les deux autorités scientifiques que sont l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et l’Agence de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).

M. Foucart, par son article, y revient et révèle les failles de cette lutte.

Comme lui, je m’interroge sur le travail de l’Autorité européenne. J’en viens à me poser de sérieuses questions sur le poids des Lobbys au sein de l’instance Européenne dont chacun sait qu’il est plus que conséquent.

Je mets en garde : quand on oublie le citoyen en privilégiant les lobbys, les conséquences peuvent être plus que fâcheuses pour la Démocratie !

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 3 Février 2015

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A qui profite le doute ?

Nous voici donc dans une situation légèrement embarrassante. Celle d’avoir à rendre compte des avis divergents de deux autorités scientifiques a priori également estimables. A ma droite, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) ; à ma gauche, son homologue française, l’Agence de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).

L’agence européenne a rendu, le 21  janvier, son avis sur le désormais célèbre bisphénol  A (BPA) et estime qu’ » aux niveaux actuels d’exposition « , cette molécule  » ne présente pas de risque pour la santé des consommateurs de tous les groupes d’âge « . Or, voilà deux ans, l’Anses publiait une opinion contraire. L’agence française estimait pour sa part que le BPA n’est pas anodin et que les enfants exposés in utero ont notamment un risque accru de développer un cancer du sein plus tard dans leur vie. C’est sur la foi de cet avis de l’Anses que la France a décidé, sans attendre le reste de l’Europe, de bannir dès le 1er  janvier le BPA des contenants alimentaires produits et importés sur son territoire.

Qui croire ? Une posture journalistique confortable est de jouer de la confusion fréquente entre neutralité et objectivité pour renvoyer les uns et les autres dos à dos et remettre ainsi tranquillement son opinion à plus tard.  » Le temps que les experts se mettent d’accord « , selon l’expression consacrée. Il est aussi possible de s’intéresser d’un peu plus près à la question.

Le fait est qu’il existe un hiatus considérable entre l’opinion de l’EFSA et celle qui domine dans la communauté scientifique compétente. Plusieurs centaines d’études, en particulier sur des animaux de laboratoire, suggèrent que l’exposition à des faibles doses de BPA peut conduire à des effets indésirables sur le développement de la glande mammaire, du cerveau, de la prostate et du testicule, sur le métabolisme des graisses, sur la reproduction, sur l’immunité, etc. Les effets les plus notables surviennent plus tard dans la vie, lorsque l’exposition s’est produite dans les périodes-clés du développement (période fœtale, petite enfance).

Faiblesses méthodologiques

Le lecteur suspicieux pourra constater lui-même, dans une base de données de la littérature scientifique (pubmed. com, scopus. com, etc.), l’existence de ces travaux expérimentaux. L’EFSA ignore-t-elle réellement toutes ces études ? Ce serait un peu gros. Ce que reprochent de nombreux scientifiques à l’agence européenne est de les écarter, une à une, en raison de leurs faiblesses méthodologiques et d’ignorer leur cohérence d’ensemble.

Un peu comme si des centaines de témoins, interrogés après un crime, décrivaient tous le même suspect et voyaient pourtant leurs témoignages systématiquement disqualifiés : le premier témoin n’est pas crédible car il est légèrement astigmate, le second n’a pu voir le coupable car il faisait nuit, le troisième est passé alors qu’il pleuvait, le quatrième avait bu un verre de vin, etc. Tout le problème est que, dans cette enquête policière, les enquêteurs donnent un poids considérable à un tout petit nombre de témoins, qui jurent n’avoir vu aucun criminel pour la bonne raison que le crime n’aurait pas eu lieu.

Par exemple, pour calculer la dose journalière tolérable (DJT) de BPA, les experts de l’EFSA utilisent les résultats d’une unique étude menée sur des souris, financée par l’industrie chimique et publiée en  2008. Ce qui conduit à une DJT si élevée que l’exposition de la population à la fameuse molécule est, selon l’EFSA, parfaitement inoffensive. L’étude-clé utilisée par l’EFSA est-elle vraiment plus crédible que les autres ? En réalité, non seulement elle est entachée de conflit d’intérêts, mais elle a subi une réfutation publiée sabre au clair par près d’une quarantaine de spécialistes dans l’édition de mars  2009 de la revue Environmental Health Perspectives. De cela, nulle mention dans le rapport de l’EFSA.

Procès en  » précautionnisme « 

De même, une étude conduite par un chercheur américain lié à l’industrie du plastique, et publiée en  2011, ne trouvait nulle trace de BPA actif dans le sang d’une vingtaine de sujets étudiés en laboratoire… Elle aussi a été fortement contestée par plusieurs chercheurs, mais, pour les experts de l’EFSA, peu importe : elle pèse plus dans leur rapport que toutes celles, nombreuses, qui détectent la substance dans le sang de la population.

Ainsi, pour en revenir à notre parallèle policier, voici des enquêteurs qui mettent en doute les dires de dizaines ou de centaines de témoins, mais n’interrogent jamais ou presque le témoignage de quelques-uns, tous proches parents du principal suspect et tous atteints de myopie congénitale…

Le dernier rapport de l’EFSA contraste malgré tout avec ses précédents avis sur le BPA. L’agence n’a pu camper complètement sur ses positions. Pour la première fois, elle admet des  » incertitudes  » sur certains effets et a revu à la baisse sa DJT, qui passe de 50 microgrammes par kilo de poids corporel par jour (g/kg-pc/j) à 4 g/kg-pc/j. Cette valeur demeure encore bien au-dessus des niveaux considérés sans risque par l’Anses.

Peut-on à l’inverse faire à l’agence française un procès en  » précautionnisme  » ? Après tout, il existe des chercheurs compétents, sans conflit d’intérêts, qui pensent que les preuves manquent pour faire du BPA un vrai problème de santé publique. Bien sûr. Mais ce serait oublier qu’à peu près tous les troubles observés sur les rongeurs exposés au BPA sont aussi des troubles émergents dans la population humaine. Cela ne prouve rien – une multitude de facteurs autres que le BPA sont à l’œuvre. Mais cela rappelle que le doute scientifique a jusqu’à présent plus bénéficié à la prospérité industrielle qu’aux enfants à naître, et qu’il n’y a pas beaucoup de raisons à cela.

par Stéphane Foucart


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