Quand l’industrie chimique fait croire à un danger économique pour vendre ses poisons…

Quand on lit cet article, on se dit qu’il faut, en permanence, chercher à savoir qui fait les études qu’on essaie de nous faire croire… Ainsi, sous le principe supposé que les rendements puissent être moins bons, l’industrie chimique n’hésite pas à mentir en essayant de nous vendre un poison néfaste à toutes les petites bêtes qui nous sont si utiles.

A nous, au citoyen, de ne pas être dupe et de ne pas entrer dans ce jeu malsain de la peur perpétuelle pour utiliser des produits qui ne sont bons pour personne.

A méditer…

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 17 Mars 2015

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Inutiles tueurs d’abeilles

C’était il y a presque deux ans, en avril 2013. Au terme d’une empoignade épique avec les grandes firmes agrochimiques, la Commission européenne décidait de mettre en place, sur le territoire des Vingt-Huit, un moratoire sur certains usages agricoles de quatre molécules insecticides. La décision de Bruxelles intervenait à la suite d’un passage en revue de la littérature scientifique, établi quelques semaines plus tôt par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et selon lequel le thiaméthoxame, la clothianidine, l’imidaclopride et le fipronil représentent un risque important pour les populations d’abeilles domestiques (Apis mellifera) – et, des travaux ultérieurs l’ont récemment montré, pour toute une multitude de bestioles volantes et rampantes qui forment ce que l’on appelle la biodiversité.

Le moratoire est entré en vigueur en décembre 2013 et, s’il est utile d’en parler aujourd’hui, c’est qu’un premier bilan peut en être tiré.

Pour comprendre, revenons à la fin de l’année 2012. Voyant les abeilles décliner toujours plus vite et voyant s’accumuler les publications scientifiques faisant de leurs molécules les grands responsables de ce désastre, les agrochimistes ont commencé à sentir le vent tourner. Il fallait  » défendre le produit « . Il était temps d’en appeler à des experts. Sous la houlette du Humboldt Forum for Food and Agriculture (HFFA) – un think tanksoutenu par Bayer et BASF, car on n’est jamais si bien servi que par soi-même –, des économistes de l’agriculture ont donc planché sur la  » valeur socio-économique  » des néonicotinoïdes – du nom de cette famille de neurotoxiques sur la sellette.

Armageddon agricole

Soutenue par différents groupes représentant les intérêts des coopératives agricoles, des semenciers, des fabricants de pesticides, et financée par Bayer et Syngenta, l’ » étude  » du HFFA fut rendue publique en janvier 2013, prévoyant une forme d’Armageddon agricole en cas de suspension des fameux néonicotinoïdes.  » Sur une période de cinq ans, l’Union européenne pourrait perdre 17 milliards d’euros, voire plus, concluaient les experts du HFFA. Cinquante mille emplois pourraient être perdus sur l’ensemble de l’économie et plus d’un million de personnes engagées dans la production agricole (…) souffriraient certainement si elles perdaient la possibilité d’utiliser les néonicotinoïdes.  » Utilisés en enrobage de semences – les graines en sont gainées avant d’être semées, afin que la plante s’imprègne de l’insecticide tout au long de sa croissance –, ces derniers étaient décrits comme  » une technologie souvent irremplaçable « .

Il est désormais possible d’affirmer que ces terrifiantes prévisions n’entretiennent qu’un rapport assez lointain avec la réalité. Selon le bulletin de l’unité chargée du contrôle officiel des ressources agricoles de l’Union, la dernière saison n’a pas connu l’apocalypse annoncée en dépit du retrait (partiel, cependant) des néonicotinoïdes.

C’est même tout le contraire. Pour le maïs – pointé par le HFFA comme l’un des grands perdants d’un possible retrait des néonicotinoïdes –, la saison fut  » excellente, avec des rendements record au niveau des Vingt-Huit « , selon le bulletin européen.Le tournesol ?  » L’estimation du rendement global (…) est au-dessus de la moyenne des cinq dernières années.  » Le colza ?  » L’une des meilleures saisons en Europe avec 2003-2004 et 2008-2009.  » Le blé tendre ?  » Bien au-dessus de la moyenne.  » Etc. Non seulement la suspension des néonicotinoïdes n’a pas conduit à une baisse catastrophique des rendements, mais ces derniers sont globalement supérieurs, voire très supérieurs, à la moyenne…

En réalité, ce paradoxe ne doit pas étonner. Dans ces mêmes colonnes, en décembre 2013, nous avions déjà relevé l’existence de quelques publications – dont l’une émanant de l’Agence européenne de l’environnement – suggérant l’utilité discutable de ces substances. En mars 2014, une ONG environnementaliste basée à Washington, le Center for Food Safety (CFS), a de son côté systématiquement examiné la littérature scientifique – c’est-à-dire les revues soumettant les études qu’elles publient à une expertise préalable – pour se faire une idée de l’efficacité réelle des néonicotinoïdes. Le CFS n’avait trouvé que quatre études montrant des gains de rendement consécutifs à leur utilisation en traitement de semences. Contre dix-neuf travaux constatant un gain absent ou non significatif…

Plus surprenante est la capacité des agrochimistes à entretenir l’idée du caractère indispensable de cette technologie et à rendre ainsi l’action politique si difficile. En février, un groupe bigarré de sénateurs français – Evelyne Didier (CRC), Marie-Annick Duchêne (app. UMP), Chantal Jouanno (UDI) et Joël Labbé (EELV) – enjoignaient à leur assemblée de voter une résolution dont le seul objet était d’ » inviter le gouvernement français à agir auprès de l’Union européenne pour une interdiction de toutes les utilisations de ces substances (…) tant que les risques graves pour la santé humaine, animale et l’environnement ne ser – aient – pas écartés « . Car le moratoire européen ne concerne que certains usages de ces produits : d’autres utilisations, notamment sur les céréales d’hiver, demeurent autorisées.

La proposition de résolution – bien qu’étayée par un exposé des motifs bardé de références puisées aux meilleures sources – fut balayée d’un revers de main par l’écrasante majorité des sénateurs. A la lumière des récents succès de l’agriculture européenne en l’absence des néonicotinoïdes, il serait intéressant de comprendre pourquoi. L’histoire fait au moins comprendre une chose : l’état de notre environnement est souvent celui de notre démocratie.

par Stéphane Foucart


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