Ce beau pays démocratique qu’est la Russie

Depardieu vante la démocratie Russe : encore un bel article qui montre combien cet acteur a raison ! Un pays noyé par la corruption, un pays de voleurs : voilà un beau pays pour notre Gégé national !

Vive la Russie et vive le plus grand démocrate de notre planète, ce cher et bon Vladimir !

Un article du journal ‘Le Monde’ daté du 1er Mars 2013

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Lettre de Russie
Roulette russe : faites vos jeux !

A 48 ans, Zoïa est une femme comblée. Pur produit de la classe moscovite aisée, cette belle rousse aux yeux verts ne se refuse rien : vacances au soleil, achats immobiliers, études à Londres pour sa fille aînée. Physicienne de formation, Zoïa a amélioré son ordinaire il y a dix ans, quand elle et quelques camarades de promotion ont créé leur société, une petite PME qui fabrique du matériel électronique. Depuis, leur affaire tourne rondement. Il y a six mois, ils ont reçu une grosse commande de matériel de la part d’un prestigieux institut universitaire.

 » Un contrat de 10 millions de roubles – 250 000 euros – , l’aubaine ! « , raconte Zoïa. Très vite, elle a déchanté :  » La commande était bidon. En réalité, nous devions fournir pour 2 millions de roubles – 50 000 euros – de matériel et facturer 10 millions de roubles. Une fois cette somme virée par l’institut sur le compte de notre société, nous devions leur rendre en douce 8 millions de roubles en liquide « , explique-t-elle en baissant d’un ton dans le restaurant bondé et enfumé du quartier de Kitaï-Gorod où elle déjeune tous les jours.

Après réflexion, elle et ses associés ont accepté :  » Sinon la commande nous échappait.  » Mais quel casse-tête ! Il a fallu concevoir des tas de combines pour  » transformer en liquide  » (en russe, obnalitchit, un des mots-clés du jargon des affaires) la plus grande partie de la somme versée. Un exercice  » bien plus difficile que d’élaborer du matériel de précision « , souligne Zoïa. A qui est allé l’argent ?  » A des « huiles » de l’institut « , dit-elle avec des airs de conspiratrice. Elle n’en dira pas plus. Une seule certitude, la somme en question était à l’origine une subvention de l’Etat pour la recherche.

L’histoire de Zoïa est un petit exemple du pillage des fonds du budget national, une fâcheuse habitude dont les fonctionnaires russes peinent à se départir.  » Si quelqu’un me réveille après un sommeil de cent ans en me demandant au saut du lit de commenter ce qui se passe dans le pays, je dirai qu’à coup sûr on boit et on vole « , affirmait, jadis, l’écrivain satirique Mikhaïl Saltykov-Chtchedrine (1826-1889).

Si la continuité dans l’ivresse reste difficile à évaluer, celle du vol crève les yeux. A en juger par les gros titres des actualités télévisées, on vole à tous les échelons de l’Etat, du sol au plafond et en toute occasion. Le Comité d’enquête (le FBI russe) n’en finit plus de nettoyer les écuries d’Augias, sans résultat aucun.

Il faut dire que la campagne anticorruption menée tambour battant par le Kremlin ces derniers mois a rarement abouti à des mises en examen. Seuls les seconds couteaux sont visés. Plus le fonctionnaire est haut placé, moins il est inquiété, comme en témoigne le sort de l’ancien ministre de la défense Anatoli Serdioukov, limogé en novembre 2012 pour une affaire de corruption à grande échelle, mais toujours interrogé en tant que témoin.

Les sommes en jeu font tourner la tête. Selon une étude interne de la Banque centrale russe (BCR), près de 50 milliards de dollars (soit 2,5 % du PIB russe) ont été transférés illégalement à l’étranger en 2012, via les banques. La circulation des capitaux est libre, sortir l’argent du pays n’est pas un problème. Entre autres vers Chypre, le paradis fiscal préféré des Russes, lequel, traversant une mauvaise passe financière, compte sur un renflouement venu de Bruxelles.

La plupart des transactions sentent le soufre. Sergueï Ignatiev, le président de la BCR, l’a dit noir sur blanc. Sur ces 50 milliards de dollars, 14 seulement concernent des opérations commerciales. Quant aux 36 milliards restants :  » Il pourrait s’agir du paiement de stupéfiants, d’importations grises, de pots-de-vin donnés à des responsables et à des dirigeants avides de gros achats, d’évasion fiscale. « 

Toujours selon M. Ignatiev, une fuite aussi importante laisse entrevoir un système de blanchiment à grande échelle et bien rodé. Cette chaîne est dirigée  » par un groupe organisé d’individus « , précise-t-il dans un entretien donné à Vedomosti, le quotidien des affaires (édition du 20 février). A quel groupe fait-il allusion ?

Celui de Popov ou celui d’Ivanov ? Peu importe. Le blanchiment, l’économie grise, la corruption, la surfacturation, la sous-facturation ont été érigés en système. Les banques, les douanes, les services, la police, le fisc sont au centre du dispositif. L’affaire est florissante, à en croire un rapport de Global Financial Integrity (GFI), un centre de réflexion indépendant basé à Washington, qui assure dans un récent rapport que les flux annuels d’argent sale en provenance et à destination de la Russie ont plus que doublé en valeur ces derniers huit ans. D’après GFI, cet argent alimente une économie souterraine équivalant à 46 % du produit national brut (PIB), soit 3,5 fois plus que la moyenne des autres économies du G8.

Face à la déliquescence institutionnelle ambiante, le gouvernement russe, conseillé par Goldman Sachs, ambitionne de faire de Moscou un centre financier international. Les banquiers se frottent les mains à l’idée d’acheter de la dette russe (l’endettement extérieur public est très faible, soit 11 % du PIB).

Quinze ans après le défaut sur la dette en 1998, le casino Russie rouvre grand ses portes. Ses croupiers font miroiter les bons indicateurs macro-économiques et taisent la corruption exponentielle et la mauvaise gouvernance, deux anomalies qui laissent la Russie largement à la traîne des autres économies émergentes des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine).

Marie Jégo

jego@lemonde.fr


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